3 mai, Journée mondiale de la liberté de la presse, on ne sait pas si l’on pouvait, cette année, la célébrer en toute sécurité ou cette cérémonie symbolique d’un métier désarmé, mais aguerri, vaut bien une messe.
Cette évidence n’est toujours pas une vérité, mais la réalité en dit long sur une profession en danger, et dont l’exercice journalistique, au sens large, déroge à son éthique, du fait des pressions politiques et économiques visant sa domestication.
L’intimidation des médias atteint, aujourd’hui, son paroxysme, dégénérant en musellement criant, répression, arrestations, séquestrations et bien d’autres actes humiliants. Légion sont les martyrs du mot et de l’image qui sont tombés sur l’autel de la liberté. Peu importe les subterfuges, l’info ou l’intox accusent. Sous nos cieux, le journaliste s’est trouvé condamné de ne plus donner suite à ce que demande son public. Droit à l’information oblige. Parce que déclaration et contre-déclaration, critique d’opinions ou même prise de position risqueraient de le plonger dans des interrogatoires policiers. Cette quête de vérité, sur un terrain miné, fait semblant d’un péché sanctionné. Victime de sa liberté, le journaliste doit-il payer les frais de son métier ?
Sous une chape de plomb
Dans la foulée des arrestations dont nombre de nos collègues ont, dernièrement, fait l’objet, ce 3 mai nous revient, cette année, avec des rebondissements qui font grincer des dents : une liberté d’expression de plus en plus menacée et vidée de son sens. Et un secteur des médias, censé être indépendant et autorégulé, continue à s’enfoncer, sous une chape de plomb. Le plus controversé décret-loi 54 du 13 septembre 2022, relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication, semble, hélas, jouer les trouble-fêtes. Son contenu, censé sauver l’honneur, défendre les libertés et protéger les données à caractère personnel, est jugé vague et arbitraire. Et, en quelque sorte, il n’est pas fait dans la dentelle. Son article 24 s’apparente à une épée de Damoclès, de quoi craindre un retour en arrière. Puisqu’il stipule toute une batterie de mesures répressives et liberticides, l’appel à son abrogation fut, alors, lancé dès sa promulgation: « Est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de cinquante mille dinars quiconque utilise sciemment des systèmes et réseaux d’information et de communication en vue de produire, répandre, diffuser, ou envoyer, ou rédiger de fausses nouvelles, de fausses données, des rumeurs, des documents faux ou falsifiés ou faussement attribués à autrui dans le but de porter atteinte aux droits d’autrui ou porter préjudice à la sûreté publique… ». Le décret, lui-même, est encore dans son tort ! En effet, sommes-nous, de nouveau, face à la machine du temps révolu ?
Dans la mêlée se perd la vérité !
A l’ère des fake news, comment vérifier le vrai du faux et séparer le bon grain de l’ivraie ? De toute façon, dans cette mêlée médiatique, nul n’est habilité à se faire justice soi-même. Et cette foire d’empoigne qui prévaut dans l’antichambre du pouvoir n’a fait qu’altérer toute vérité. Ce constat est, donc, sans appel. Il ne se passe pas une année sans que le rapport des libertés présenté par le Snjt ne crève l’abcès et mette les autorités devant leur responsabilité. « L’année écoulée, l’on a recensé 214 violations perpétrées contre des journalistes dont 123 commises par les institutions de l’Etat, forces de l’ordre en tête », s’indigne l’Unité d’observation et de monitoring au sein du syndicat. Au point que son président, Mohamed Yassine Jelassi, l’a qualifiée de l’année la plus violente, où ces cas d’agressions, de poursuites judiciaires, séquestration, détention sont de nature à confisquer le droit d’accès à l’information.
Ceci étant, l’on s’exerce, plus souvent, dans un climat hostile à la liberté marqué par un discours si haineux et incitatif à la violence contre les journalistes. Entre le devoir d’information si sacré et l’obligation du travail sur terrain glissant, l’homme des médias ne sait plus à quel saint se vouer. L’état d’exception qui a trop duré avait pesé sur toutes les libertés. Et combien defois, Jelassi a demandé à ce que des lois et décrets-lois soient révisés. « Les circulaires 19 et 20 relatives respectivement à l’accès à l’information et au droit de manifester devraient être supprimées. De même, la justice est appelée à ne recourir qu’aux décrets 115-116 », réclame-t-il, espérant que cela pourrait ainsi rectifier le tir et améliorer, un tant soit peu, la situation. Et le combat continue, luttant, aujourd’hui, pour l’annulation du présent décret scélérat qui tente de faire taire les voix et réduire la profession à sa plus simple expression. Ce décret-loi 54 évoque, en apparence, un souci de préserver les libertés et protéger les vies privées. Ce qui n’est pas tout à fait le cas. Journalistes, juristes et société civile s’accordent à le qualifier d’une main de fer dans un gant de velours.
Un décret à retirer
Le texte est si complexe qu’il n’a apporté aucune précision. Selon l’Ong « I Watch », il n’établit pas, noir sur blanc, les critères auxquels il faut se référer pour trancher sur la véracité des faits. Les cas de Monia Arfaoui et Mohamed Boughalleb en sont des exemples édifiants. La théorie du complot l’emporte, parfois, sur tout autre révélation. Dans une récente déclaration sur les ondes d’une radio privée, la vice-présidente du Snjt, Amira Mohamed, a considéré que « ce texte de loi fut promulgué pour des raisons politiques. Il s’agit d’un décret visant à faire taire les journalistes et à les empêcher de faire leur travail ». Elle a appelé le Président de la République à le retirer. Le Collectif associatif « Soumoud » étant, aussi, du même avis : « Depuis l’entrée en vigueur de la Constitution du 17 août 2022 et du décret-loi 54/2022, les campagnes de harcèlement et les arrestations se sont multipliées visant journalistes et opposants, en violation de la liberté de la presse et d’expression ». Tout compte fait, la journée du 3 mai 2023 serait célébrée dans la tourmente. Triste ironie du sort, des journalistes ont été malmenés, pour être, enfin, poursuivis en justice. Et d’autres auditionnés puis libérés. Mercredi prochain, ce sera la énième journée de colère. Après la présentation du rapport des libertés et le débat qui aura lieu à l’occasion, les journalistes sont appelés à être au rendez-vous. Un sit-in attendu devant le siège du Snjt, afin de scander haut et fort notre droit à la liberté de presse et d’expression, le seul acquis, d’ailleurs, d’une révolution jusque-là inachevée.